Normes déficientes et appareils vétustes
Au Québec, il se réalise aujourd’hui un examen de tomodensitométrie pour sept habitants.
Les scanners, qui sont de plus en plus puissants, sont particulièrement irradiants. Or, quinze ans après leur arrivée en masse dans les hôpitaux de la province, les normes de radioprotection sont toujours déficientes et les lois dépassées. La vérificatrice générale (VG) du Québec a noté plusieurs lacunes. Le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) a formé un groupe d’experts – qui se réunissait pour la première fois hier – pour tenter de corriger le tir.
Créé en août 2015, le Réseau de référence en radioprotection intégré du Québec concernant l’application des normes en radioprotection en imagerie aura une lourde tâche. « C’est un lieu d’échanges dont l’objectif est de favoriser l’application des normes dans le réseau de la santé dans une approche intégrée, plus cohérente. On souhaite trouver des pistes de solution selon les préoccupations de tous », explique Noémie Vanheuverzwijn, porte-parole de MSSS.
« Il y a eu une explosion technologique qui a surpris tout le monde. On n’a pas eu le temps de développer une expertise au même rythme. La technologie a devancé nos capacités. L’ACR a des lignes directrices, mais elles ne sont pas appliquées par les cliniciens. Il reste encore beaucoup de travail à faire », dit le D Jacques Lévesque, de l’Association canadienne des radiologistes (ACR).
Selon la vérificatrice générale du Québec, un appareil de TDM sur cinq est vétuste au Québec. Au MSSS, on indique que l’âge moyen des scanners est de sept ans, alors que leur durée de vie est d’une dizaine d’années. « Lorsqu’un appareil est usé, on le voit rapidement : la qualité d’image diminue rapidement. Plus les appareils sont désuets, plus le risque d’une exposition qui ne respecte pas les normes augmente », soutient le D Lévesque. « Les machines sont en renouvellement, le parc est plus adéquat qu’il ne l’était, nuance le D Yves Patenaude de l’Association des radiologistes du Québec (ARQ). Les appareils obtenus lors des premiers achats groupés, début 2000, sont changés. On essaie d’en remplacer 15 par année. On ne peut pas faire ça d’un coup, avec un seul appel d’offres. »
Santé Canada a produit en 2008 un code de sécurité en matière de radioprotection en imagerie médicale. Dans son Plan d’action sur la réduction de l’exposition aux rayonnements de 2009, le MSSS obligeait les établissements à l’appliquer au plus tard le 1 avril 2010. Certains établissements, comme l’hôpital de la Cité-de-la-Santé de Laval, s’y sont cassé les dents : trop laborieux, trop coûteux. « Ça a été fait en silos sans nous consulter, ce n’est pas applicable », déplore le D Lévesque de l’ACR. Le MSSS a donc apporté certains assouplissements sans fixer de nouvelle échéance. Cinq ans plus tard, les établissements « n’appliquent pas intégralement » le code, selon le rapport de la vérificatrice générale.
Mandaté en 2009 par le MSSS, le Centre d’expertise clinique en radioprotection (CECR) a fait une tournée provinciale des établissements de 2011 à 2015 afin d’outiller les équipes en place à réduire les doses reçues par les patients. « À la suite de ces visites, le CECR a conclu qu’aucun des établissements de la province n’effectuait à ce jour l’intégralité des contrôles de qualité qu’il recommande », note la VG. Le CECR a noté d’autres lacunes. « Le port du dosimètre par les employés n’est pas toujours respecté. De plus, le matériel de protection qui permet de réduire l’exposition des patients aux rayonnements était peu utilisé par les équipes locales. »
Un établissement public utilisant l’imagerie médicale doit respecter le Règlement sur l’organisation et l’administration des établissements, qui stipule : « Un établissement qui utilise des appareils émettant des radiations doit adopter des modes de contrôle de l’utilisation de ces appareils, comme ceux prévus au Règlement d’application de la Loi sur les laboratoires médicaux, la conservation des organes et des tissus et la disposition des cadavres (chapitre L-0.2, r. 1). » Le hic ? La Loi sur les laboratoires médicaux date de 1979, à l’époque des films et des écrans, et exclut les établissements publics. À défaut de normes québécoises, les physiciens biomédicaux, qui procèdent aux inspections, doivent se référer à des normes internationales pour formuler leurs recommandations. « On se réfère habituellement aux normes les plus sévères. Mais comme ce n’est pas réglementé au Québec, ça peut nuire au suivi des recommandations », indique Richard Tremblay, responsable du comité de radioprotection à l’Association des physiciens et ingénieurs biomédicaux du Québec.
« Le Ministère n’a pas proposé de mécanisme afin que les établissements puissent enregistrer les doses de rayonnement que reçoivent les patients », lit-on dans le rapport de la VG. Seul l’Institut de cardiologie de Montréal (ICM) fait le suivi du cumul des doses par patient depuis 2004. « Cet outil permet un contrôle de qualité et une optimisation des doses de rayonnement. On peut comparer nos données à celles de la littérature et changer nos façons de faire pour diminuer l’exposition des patients », indique Sébastien Authier, ingénieur à l’ICM. « Au département d’électrophysiologie, on a réussi à diminuer les doses de 70 à 80 %. C’est un travail d’équipe, il s’agit d’en faire une priorité », souligne le cardiologue Bernard Thibault.
L’Ordre des technologues en imagerie médicale, en radio-oncologie et en électrophysiologie médicale du Québec accorde beaucoup d’importance à la formation continue de ses membres sur les bonnes pratiques en tomodensitométrie. Mais chaque scanner a ses particularités… qui ne sont pas toujours maîtrisées. « Les appareils sont de plus en plus complexes. Quand il y a un renouvellement, le technologue doit transférer ses compétences sur ce nouvel outil. Or, l’importance accordée à la formation est à géométrie variable selon les établissements. Ce n’est pas toujours une priorité », dit Danielle Boué, présidente de l’Ordre.
Les efforts du CECR commencent à porter leurs fruits dans les établissements. Les doses administrées aux patients en TDM ont d’ailleurs diminué depuis cinq ans : de la tête (-16 %), thoracique (-25 %), scan abdomino-pelvien (-17 %) et thoraco-abdomino-pelvien (-26 %). Les données sont comparables à ce qui se fait en Europe. « Notre mandat est d’aider les équipes à utiliser l’équipement en place de façon optimale, de les aider à élaborer des protocoles moins irradiants », dit la directrice Manon Rouleau. La radioprotection est guidée par trois principes : la justification, l’optimisation et la limitation. « Pour réduire la dose, on peut mieux cibler la dose exposée, utiliser des caches de protection, utiliser des méthodes itératives. Il faut continuer à travailler en ce sens. »